Notre syndicat affilié au Pakistan a déposé une plainte auprès du Bureau international du Travail à Genève concernant la violation des conventions de l’OIT et des lois du travail pakistanaises existantes dans l’industrie des briqueteries au Pakistan. La situation dans le secteur est dramatique, marquée par des phénomènes tels que le travail pour dettes ou forcé, la violation des lois relatives au salaire minimum et à la sécurité sociale, etc.
Ci-dessous, nous publions la lettre envoyée à la Commission d’experts de l’OIT pour l’application des conventions et recommandations (OIT/CEACR) , par Pirzada Imtiaz Syed, secrétaire général de la Fédération des syndicats unis du Pakistan.
APFUTU
All Pakistan Federation of United Trade Unions
Memo N° : 634-35/ILO-2016 Date: 11 novembre 2016
À l’attention de:
Commission d’experts de l’OIT pour l’application des conventions et recommandations (CEACR)
Route des Morillons 4
CH-1211, Genève 22 (Suisse)
Objet : VIOLATION DES CONVENTIONS DE L’OIT ET DE LA LÉGISLATION DU TRAVAIL PAKISTANAISE RELATIVE À L’INDUSTRIE DES BRIQUETERIES
Madame, Monsieur,
Nous attirons votre attention sur le fait que nous avons déposé par lettre n° 610-11, datée du 9 septembre 2016, une plainte auprès du Directeur général du Bureau international du Travail.
En réponse à notre courrier susmentionné, nous avons reçu une lettre n° ACD 19-2-2016, datée du 3 octobre 2016, de Mme Corinne Vargha, directrice du Département des normes internationales du travail auprès du BIT à Genève.
Faisant suite aux instructions de la directrice du Département des normes internationales du travail, je vous adresse ici la même plainte pour examen de la situation conformément à la procédure prévue du BIT.
VIOLATION DE LA CONVENTION C029 DE L’OIT SUR LE TRAVAIL FORCÉ OU OBLIGATOIRE
Tout d’abord, je me permets d’attirer votre attention sur le concept de travail forcé. Selon le dictionnaire en ligne, le travail forcé « est une pratique selon laquelle l’employeur accorde des prêts à intérêt élevé aux travailleurs dont les familles doivent ensuite travailler pour un salaire très bas afin de rembourser cette dette; de telles pratiques sont illégales en Europe et aux Etats-Unis ».
Il existe environ 20 000 briqueteries établies au Pakistan et plus d’UN MILLION de travailleurs et travailleuses employés dans cette industrie. Les employeurs argumentent qu’ils versent des avances aux travailleurs des briqueteries, de sorte que ceux-ci sont tenus de travailler à la dure avec les membres de leurs familles. Dans sa décision historique en date du 18 septembre 1988, la Cour suprême du Pakistan a reconnu que le statut des ouvriers des briqueteries est celui de travailleurs forcés et elle a banni le système d’intermédiaire Jamadar / Jamadarni existant dans l’industrie de fabrication des briques. Toutefois, les employeurs continuent de pratiquer ce système. Cette personne intermédiaire est chargée de protéger les droits des propriétaires de briqueteries, mais les employeurs prélèvent son salaire sur le salaire des travailleurs des briqueteries, ce qui est injuste. Les travailleurs des briqueteries ne sont pas autorisés à rentrer chez eux à la fin de la saison productive s’ils n’ont pas remboursé la dette ou versé des garanties. Au cas contraire, ils doivent rester dans les briqueteries, et pendant cette période, les employeurs augmentent encore la dette, alourdissant ainsi le poids d’un endettement que les travailleurs ne peuvent plus affronter. De ce fait, les travailleurs des briqueteries sont astreints à une vie d’esclaves ou de travailleurs en servitude dans les briqueteries. Dans certains cas, les employeurs vendent leurs travailleurs comme des chèvres à d’autres employeurs, sans égard pour la volonté des travailleurs.
Dans la loi de 1992 sur l’abolition du système de travail forcé, la section 4 et le sous-paragraphe 2 indiquent clairement que « personne n’a le droit d’avancer un montant, soit en vertu ou dans l’esprit du système de travail forcé, soit pour contraindre une autre personne à une prestation relevant du travail forcé ou d’une autre forme de travail à servitude ».
Mais les employeurs des briqueteries poursuivent ouvertement cette pratique, et il n’existe aucune institution qui puisse prendre des mesures contre eux, car les propriétaires fonciers et les familles riches qui possèdent des briqueteries ainsi que leurs enfants occupent des postes clés au Pakistan. Le ministère du Travail, à l’exception de son département dans la ville de Chillán, et les tribunaux se limitent à imposer des amendes mineures aux propriétaires.
SALAIRE MINIMUM (VIOLATION DE LA CONVENTION 131/1970 DE L’OIT
Le Pakistan est divisé en 4 provinces dont la plus grande est celle du Pendjab, elle-même comprenant 35 districts. Le ministère du Travail du Pendjab détermine tous les ans le niveau des salaires minimum. Pour l’exercice 2015-2016, le Bureau des salaires minimum du ministère du Travail de l’État du Pendjab a fixé le salaire minimum à 962 roupies pakistanaises pour chaque lot de 1000 briques, mais les employeurs ne paient que 500 à 650 roupies pakistanaises par lot de 1000 briques. Actuellement le montant fixe établi par le ministère du Travail du Pendjab s’élève à 1032 roupies par lot de 1000 briques, toutefois les employeurs ne paient que 600 à 750 roupies. Cette pratique est totalement contraire à la législation nationale ainsi qu’à la convention 131/1970 de l’OIT et cela vaut pour l’ensemble du pays. Qui plus est, dans la province du Sindh, les employeurs ne paient que 400 roupies par lot de 1000 briques, tandis qu’ils les vendent à des prix fixés par eux-mêmes, vu l’absence de contrôle de la part du gouvernement.
Au cas où les travailleurs des briqueteries introduisaient une plainte pour violation de la loi sur les salaires minimum, la procédure devant un tribunal s’annoncerait très longue, tant et si bien que les travailleurs n’auraient pas les moyens pour couvrir les frais de voyage, les honoraires des avocats, etc. Parfois les patrons recourent à la violence et infligent des punitions corporelles à leurs travailleurs tout en les obligeant de restituer l’avance versée par l’employeur.
Toutes les institutions sont sous contrôle des propriétaires fonciers. Les familles féodales acquièrent des briqueteries, car celles-ci génèrent des profits colossaux et les employeurs ne courent aucun risque.
Nous n’avons cité que le salaire minimum d’une catégorie de briqueteries, mais il convient de signaler qu’il existe 20 catégories de briqueteries et que les travailleurs sont partout exposés aux mêmes exactions.
C102 – Convention concernant la sécurité sociale (norme minimum), 1952 (No. 102)
C035 – Convention sur l’assurance-vieillesse dans l’industrie, 1933 (No. 35)
C128 – Convention concernant les prestations d’invalidité, de vieillesse et de survivants, 1967 (No. 128)
Conformément à la législation du travail existante, les ouvriers des briqueteries ont droit à la sécurité sociale, mais l’organisme concerné, à savoir l’Institution de sécurité sociale des salariés, n’a aucun intérêt à enregistrer les travailleurs des briqueteries. En raison de leur inertie, des milliers de travailleurs des briqueteries et les membres de leurs familles n’ont pas accès aux soins médicaux dans les hôpitaux relevant du système de sécurité sociale. Lorsque nous avons exercé une pression sur ce ministère, on nous a répondu que les employeurs ne sont pas prêts à payer leur part, et que par conséquent il était de notre devoir de faire pression sur les employeurs. Or, il n’est pas du devoir des salariés ou de leur organisation d’obliger les employeurs à payer leur part. Le gouvernement et plus particulièrement le Département de la sécurité sociale des salariés ainsi que leurs tribunaux sont dotés de ce pouvoir et ils peuvent récupérer toutes les cotisations qui n’ont pas été versées par les employeurs.
Si un travailleur demande l’inscription auprès de la Sécurité sociale des salariés, les agents de cet organisme demandent au travailleur de se procurer la signature de l’employeur. Ici, au Pakistan, les industriels ne sont pas prêts à payer un seul centime et ils refusent de signer la demande des travailleurs. De ce fait, des millions de travailleurs au Pakistan n’ont pas pu s’inscrire au régime de sécurité sociale et le gouvernement ne prête aucune attention à ce problème. Selon les règles, il n’est pas du devoir des employés d’obtenir la signature de leurs employeurs sur le formulaire de demande de la carte de sécurité sociale ou de la carte de prestations de vieillesse. Il y a des milliers de travailleurs dans les briqueteries qui n’ont pas été enregistrés auprès des organismes de sécurité sociale et des prestations de vieillesse. Ainsi, ils n’ont aucun droit aux prestations de sécurité sociale ou de vieillesse.
Notre organisation vous prie de charger la Commission d’experts pour l’application des conventions et des recommandations de l’OIT d’examiner la situation que nous venons de décrire. Elle vous prie par ailleurs d’inclure un membre de notre organisation dans la commission qui sera chargée de l’examen de cette plainte.
Vous remerciant d’avance de votre compréhension et de l’accueil favorable que vous accorderez à notre demande, nous vous prions d’agréer nos meilleures salutations.
Pirzada Imtiaz Syed
Secrétaire général